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17 février 2021

Déclaration N°2/2021 de la CFOR-ARUSHA sur les condamnations du deuxième jugement intervenu dans l’affaire de la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015 au Burundi

CF0R ARUSHA FEV 2021

En complément à sa Déclaration du 26/11/2020 relative aux procès politiques uniques en cours au Burundi, la CFOR-ARUSHA condamne et rejette le deuxième jugement « RPS 100 » qui condamne pêle-mêle des politiques, des militaires et policiers, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes indépendants aux mêmes peines après les avoir indistinctement et étonnamment fait imputer des mêmes charges.

A cet égard, la CFOR-ARUSHA émet les considérations suivantes :

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti CNDD-FDD en 2005, et particulièrement à partir de l’année 2015, la justice et tous les pouvoirs d’Etat sont aux mains des généraux qui dictent la loi à suivre à travers le parti CNDD-FDD érigé en un instrument de démolition des fondements de réconciliation des Burundais que sont l’Accord d’Arusha et de la constitution de 2005 qui en émane, un instrument de domination et de spoliation des biens des Burundais.

Tout en s’interrogeant si ce parti mérite toujours d’être appelé parti politique, étant donné qu’il est devenu le théâtre d’opérations des militaires de l’ancienne rébellion, ces généraux ne passent pas par quatre chemins pour s’approprier de tous les leviers du pouvoir d’Etat notamment :

a) L’institution du CNDD-FDD comme parti unique et, conséquemment, l’anéantissement, sinon l’écartement à défaut de l’absorption de toute l’opposition, le tout avec l’objectif d’arriver à régir seule toutes les affaires publiques du pays à travers les institutions soi-disant républicaines et démocratiques ;

b) La création et l’administration, au sein du parti unique, d’une milice armée en violation flagrante de la Constitution et de la loi régissant les partis politiques, une milice parallèle et concurrente aux forces nationales de défense et de sécurité et qui est chargée, de concert avec les services secrets présidentiels, certains éléments de la police et de l’armée, de mâter dans le sang l’opposition politique, la société civile et la presse indépendantes et tous ceux qui leur sont assimilés ou assimilables ;

c) La mise en place d’un système de spoliation, de détournement et de liquidation des richesses nationales et de pillage, d’expropriations et d’accaparement des biens des privés aux fins de financer les activités criminelles de leur milice Imbonerakure d’une part, et de l’enrichissement personnel de la junte militaire au pouvoir au Burundi d’autre part ;

d) Et pour que rien ne perturbe leur pouvoir d’essence totalitaire, le quadrillage de tout le système judiciaire à qui les généraux dictent les verdicts à rendre, transformant ainsi ledit système en un instrument de répression contre toute voix dissonante, non affiliée ou ne prêtant pas allégeance au parti-Etat.

Lorsque les manifestations pacifiques contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza ont débuté le 26 Avril 2015, l’état de gouvernance du Burundi était ainsi dessiné. Les généraux ont alors utilisé ces instruments de domination pour réprimer dans le sang les manifestants ou tous ceux qui étaient jugés proches d’eux, commettant dans la foulée des crimes contre l’humanité.

La CFOR-ARUSHA fait constater que c’est dans ce contexte qu’a émergé le fameux jugement RPS 100 récemment signifié par simple affichage aux valves d’affichage de la Cour suprême du Burundi. La CFOR-ARUSHA estime que le contexte de paix et de sécurité qui prévaut depuis 2015 jusqu’à ce jour est totalement réfractaire à toute entreprise de justice, car l’impunité est passée maitre et la loi de la jungle la norme sous la gouvernance du parti CNDD-FDD. Qui plus est, qui juge qui dans ce contexte ? Etant accusé de crimes contre l’humanité commis contre sa population, le gouvernement en place revêt-il encore la qualité d’arbitre neutre et impartial dans les événements en cours au pays ?

La CFOR-ARUSHA relève par ailleurs que ce jugement s’inscrit dans la cascade d’autres jugements iniques rendus par les juridictions burundaises depuis l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD. Pour ne citer que des cas les plus emblématiques, mentionnons les suivants :

Décision d’incompétence rendue par la cour militaire dans le cadre de l’affaire des disparitions forcées/exécutions extrajudiciaires d’une quarantaine de civils à Muyinga en 2006 ;

Jugement de la Cour constitutionnelle chassant du parlement burundais 22 députés pour avoir exprimé leurs points de vue différents de ceux du parti au pouvoir ;

Déni de justice dans l’affaire de l’assassinat d’Ernest Manirumva (assassiné depuis Avril 2009) ;

Déni de justice aux victimes des assassinats collectifs connus sous le nom de code gouvernemental de SAFISHA (des centaines de citoyens innocents ont été assassinés à la suite de la contestation du truquage des résultats des élections de 2010) ;

Déni de justice dans l’affaire de l’assassinat de plus de 40 civils tués à Gatumba en 2011 ;

Déni de justice dans l’affaire du viol puis de l’assassinat de 3 religieuses italiennes opérant dans l’humanitaire à Bujumbura en Septembre 2014 ;

L’arbitraire dans le deuxième jugement dans l’affaire de l’assassinat du Président Melchior Ndadaye (jugement intervenu sous le mandat inconstitutionnel du Président Pierre Nkurunziza) ;

L’arbitraire dans le jugement d’Avril 2018 contre le défenseur des droits de l’homme Germain Rukuki (32 ans de servitude pénale) ;

L’arbitraire dans le jugement contre quatre journalistes d’IWACU (partiellement rétablis pour l’instant), etc.

A ce triste bilan judiciaire, ajoutons l’immobilisme déconcertant de la justice burundaise lorsqu’il s’agit de se saisir, puisqu’elle en a les prérogatives, des divers cas de crimes dans lesquels le pouvoir CNDD-FDD est impliqué, à l’instar des crimes contre l’humanité qui se commettent depuis 2006 et des crimes économiques multiples commis à la fois contre l’Etat et les particuliers.

Revenant au jugement proprement dit, la CFOR-ARUSHA constate avec étonnement que, comme tous les autres jugements inspirés par les généraux au pouvoir, celui-ci mélange les genres (militaires, policiers, politiques, défenseurs des droits de l’homme et journalistes) contre qui ils font imputer les mêmes charges et les condamne aux mêmes peines sans que les condamnés ne puissent savoir les manquements personnels revenant à chacun d’entre eux comme l’exige la loi pénale. En outre, personne ne saura à quelle date a eu lieu le prononcé du jugement, la copie de ce jugement étant elle-même indisponible aux condamnés. Enfin, personne ne saura à quelles époques le procès donnant lieu audit jugement s’est tenu, faute pour les accusés d’avoir été convoqués et conséquemment d’être présents ou de se faire représenter durant la procédure. L’autre constat est l’objectif ultime poursuivi par les généraux dans ce jugement inique, à savoir, l’anéantissement politique, juridique, économique et social des condamnés si l’on s’en tient à la gravité de la panoplie des peines prononcées à leur encontre : emprisonnement à vie, réparations dites civiles d’un montant astronomique, peines complémentaires maximales ! Le verdict des généraux fait apparaître de manière flagrante une méchanceté paralysante en osant superposer la condamnation d’interdiction d’exercice des fonctions publique, professionnelle ou sociale à celle d’emprisonnement à vie. L’amateurisme juridique teinté de méchanceté des généraux est poussé à l’extrême pour dépasser les bornes lorsqu’ils décident dans leur verdict la saisie et la vente des biens de toutes les victimes condamnées. Enfin, les infractions d’attentat contre l’autorité de l’Etat (articles 609 à 613 du code) et de destructions (articles 336 à341) imputées aux condamnés ne sont que des titres généraux de la loi pénale comportant des infractions spécifiquement prévues dans les articles correspondant aux titres sus-indiqués ; lesquelles ne comportent aucune des peines complémentaires infligées aux condamnés. En somme, le verdict ne comporte pas de condamnation qui vaille faute d’avoir identifié les infractions dont les condamnés se seraient rendus coupables.

Pour toutes ces raisons et d’autres non évoquées dans la présente, la CFOR-ARUSHA condamne et rejette le jugement RPS 100 qui ne constitue qu’une mesure supplémentaire de répression à ceux qui revendiquent la jouissance et le respect de leurs droits constitutionnels.

Enfin, la CFOR-ARUSHA invite toutes les forces vives à redoubler d’ardeur pour contrer la montée en force du totalitarisme et de l’obscurantisme politique au Burundi. A la Communauté internationale, la plateforme politique l’invite à plus de vigilance en évitant de succomber aux tactiques d’enfumage du pouvoir des généraux en place à Gitega. Contrairement aux apparences du régime qui s’efforce de tenir un discours lénifiant, le pouvoir est resté foncièrement prédateur des droits et libertés car le climat criminogène et liberticide du gouvernement précédent perdure.

Fait à Bruxelles, le 17/02/2021

Le Président du Conseil directeur,
Frédéric BAMVUGINYUMVIRA